Publié le 18-02-2021 | Éditions JPL
La lecture d’un texte sur l’éducabilité du professeur Meirieu dans les Cahiers Dynamiques, m’a interpellé sur une réalité combien réelle et récurrente que nous vivons dans le système éducatif de notre pays. Il m’a aussi interpellé pour tenter d’analyser la cause de cette récurrence. L’éducabilité se définit comme étant « l’aptitude à être éduqué[1] ». Tout être, tout sujet, tout élève devrait donc être considéré comme « apte à être éduqué ». Notre vocation d’éducateur nous met trop souvent face à une salle d’au moins trente élèves issus parfois de milieu socio-économique et surtout familial différent, qui charrient avec eux tous les aléas susceptibles de diminuer leurs capacités de réception et aptitudes à se laisser éduquer, instruire, et trop souvent ils sont si brisés, si abimés qu’ils arrivent à abimer leurs camarades en se positionnant comme des réfractaires au savoir. Cette attitude-là nous prend de court et nous empêche trop souvent d’arriver, comme Phillipe Meirieu le dit, à les « Faire émerger », c’est-à-dire à leur donner la possibilité d’apprendre à différer, et ainsi, à accéder à ce qu’on appelle le stade du désir[2],
ce désir d’apprendre que devrait les animer. Si tantôt j’ai parlé de notre vocation d’éducateur c’est parce qu’il nous faut un vrai dépassement de soi pour sortir du simple état de salarié de l’éducation pour nous rappeler de cet appel, cette vocation qui nous meut vers la pratique du métier d’éducateur et croire que, l’élève réfractaire, fracturé, accidenté, comme le dit Meirieu, qu’on a en face de nous a quelque part enfui au fond de lui, une partie intacte qu’il nous revient depuis notre position d’atteindre et de faire émerger. Ce, à travers une démarche éducative construite, lisible dans des comportements, dans la création de situations qui incite l’élève à s’engager librement, à grandir, à apprendre, à se développer, à se socialiser, à se focaliser sur la co-construction de son savoir, sur son être.
Trop souvent l’élève pense que de par sa provenance, sa classe sociale, nous n’attendons pas vraiment beaucoup de choses de lui et donc en fidélité à nos aprioris il est comme il est, bouché, paresseux, cancre. Il sait que dans une salle de trente à cinquante élèves on n’a vraiment pas les moyens de faire du cas par cas, d’opter pour une pédagogie personnalisée, lui donner la chance d’exprimer dans son langage d’apprenti ce qu’il comprend ou pas, de le corriger, le guider vers cet élan, ce désir d’apprendre. Et si cette chance lui est refusée quand il ose oser, il passe à autre chose et ferme la parenthèse apprentissage. Et il nous laisse avec notre programme à couvrir sur un délai que nous ne contrôlons pas avec les troubles politiques et lui, il n’apprend presque rien. La répétitivité de cette situation vient, à mon sens (selon mon constat) du fait que l’élève haïtien actuel a une lecture anticipée de nos aprioris à son endroit et de nos insatisfactions envers le système et du coup n’allons pas mettre en branle tout l’arsenal pédagogique qui fait le fort de nos compétences et qualités pour dynamiser notre enseignement et son apprentissage.
On devrait, pour pallier cette situation, penser à se réveiller, à déceler dans chaque élève ce latent mais ardent désir d’apprendre masqué par la rébellion, le je-m’en-foutisme et le je-ne-peux-pas-apprendre. S’investir dans l’activité éducative sans chercher d’abord à transformer plutôt qu’à former. Car, former c’est éduquer l’élève pour qu’il apprenne et grandisse. Et non continuer à fabriquer ces citoyens qui minimisent tellement l’importance et la valeur de l’éducation dans la construction de leur être et celle de la société en soi. Car, malheureusement, qu’on le veuille ou non ce sont eux les futurs dirigeants du pays.
Judith ST SURIN
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